La Tuilerie du Bois

(La tuilerie ne fonctionne plus, mais le noyer est encore là...)

 

Le développement des tuileries-briqueteries de SOLOGNE coïncide avec la prolifération des constructions sous les règnes de LOUIS-PHILIPPE et NAPOLEON III.

Sous le Second Empire, la reconstitution des forêts de pins a donné du bois de chauffage en surabondance et à bas prix.

En 1850, d'après les Statistiques Générales de la France, l'arrondissement de ROMORANTIN abrite environ deux tuileries par Commune.

Pendant 75 ans, les maçons locaux n'auront pas grand chemin à faire pour trouver les briques, les tuiles et les faitières nécessaires à la rénovation du centre-bourg.

La locature passa de mains en mains entre 1828 et 1923. Elle eut successivement 6 propriétaires. Elle passa d’un aspect classique (une maison de deux pièces à feu, éclairées par 4 ouvertures, une cour, un jardin, une maigre pâture et quelques peupliers) à un ensemble constitué d’une maison d'habitation de deux chambres à feu et une chambre froide, d’une vacherie et boulangerie (four à pain), de toits à porcs, de hangars et séchoir, d’un four à cuire les briques, d’une cour, d’un jardin, de terres et prés.

 

LOCALISATION

La tuilerie était répartie de chaque côté de la route de Chaon et de la rue du Bois (route des Bouffards). D'un côté, la maison d'habitation, les trois loges (ou hangars, ou séchoirs) qui se transformeront au fil des ans en vacheries ou toits à porcs... (il n'en reste actuellement que deux, le troisième ayant été abattu). Collée au premier hangar : "la fosse à glaise" (qui deviendra plus tard fosse à purin) - c'est un trou carré de 2m de côté où l'on préparait la terre de la fabrication de la tuile "celle où l'on marche cette terre avant de l'employer".

De l'autre côté, trônait LE FOUR. Cette bâtisse de forme carrée uniformément de haut en bas s'élevait à 20 mètres au-dessus du sol et possédait une base de 10 m/ 10m (chiffres approximatifs). Les lucarnes sur les 4 faces servaient de trous d'aération. Un toit de tuiles (naturellement !) abritait le foyer et les 10.000 briques et faitières que l'on pouvait cuire en une seule fois.

LE SECHOIR, curieux bâtiment au toit si long qu'il débordait largement des murs pour venir s'arrêter à moins de 1 mètre du sol, servira par la suite d'abri aux galopins qui revenaient de l'école. « Quand on recevait une pissée d'iau, on allait s'y réfugier ».

Les murs, faits d'une brique sur deux, laissaient passer l'air nécessaire au séchage des briques. Ombrageant son pignon un énorme noyer sera bien utile pour faire sécher les briques sous son feuillage dense et épais. Derrière le séchoir, les FAGOTIERS (d'énormes tas de fagots) avaient été constitués pendant l'hiver.

LES OUVRIERS

Le maître des lieux (le Maître tuilier) n'arrêtera sa tâche qu'à l'âge de 72 ans. Avec le printemps, commençait la "saison de chauffe". La Famille propriétaire au complet se mettait alors au travail. Souvent, dans les moments de grande activité, on embauchait 1 ou 2 "colons". La Colonie de Saint-Maurice - Lamotte occupait le château et les dépendances de NAPOLEON III. C'était alors un établissement pénitentiaire où l'on essayait de rééduquer par le travail et par des méthodes toutes nouvelles d'entraide et non plus répressives, de jeunes délinquants que l'on plaçait dans des fermes et chez les artisans des environs. Ces colons briquetiers ont toujours donné satisfaction.

LES MATIERES PREMIERES

1- L’argile :

D'une façon générale, les tuileries solognotes étaient situées à l'emplacement le plus proche de la zone d'extraction d'argile et de combustible. Les premiers tombereaux d'argile venaient de fouilles faites sur les terrains près et derrière les futures maisons communales.

Tous les Pierrefittois de longue date connaissent la pièce d'eau, route de Chaon. Ce trou qui, par la suite, servira de réserve d'eau aux Pompiers et de lavoir, a pour origine l'extraction de la glaise nécessaire aux premières briques des années 1860 (3). Mais c'est surtout à "l'Epinière" que le roulier attitré de la tuilerie allait chercher la glaise tout au long de l'hiver. Les derniers temps, on en prenait un peu au Bouchot, mais la bonne terre, au fil des ans, devenait de plus en plus difficile à trouver sur le territoire de la commune et, quand le dernier propriétaire cessa son activité, la tuilerie s'arrêta, faute de matière première.

2- Le sable :

II fallait aussi du bon sable. On le trouvait dans une terre du Reuilly, route de Nouan en sortant du bourg. Ce sable n'entrait pas dans la composition de la brique, mais était utilisé comme le son autrefois chez le boulanger. On en saupoudrait les palettes afin que les briques non cuites et encore humides ne collent pas. Là encore, le roulier faisait le transport et les réserves d'hiver.

 

L'IRRIGATION

L'eau que l'on utilisait abondamment venait de l'étang du Surgis et s'écoulait le long de la route des Bois (route des Bouffards). A 100m. du carrefour, l'eau pouvait soit s'écouler dans un fossé qui alimentait les lavoirs des propriétés voisines, soit continuer son chemin pour rejoindre la tuilerie, passer sous les loges et terminer sa course dans un lavoir et puis vers la Sauldre. C’était, dit-on, le "Fossé de la chicane" car tout le monde avait besoin de l'eau en même temps. Le matin, dès la première heure quand le tuilier ouvrait les vannes, les riverains les fermaient aussitôt...

 

En 1878, le propriétaire de l'époque avait (à tort, reconnaît-il lui-même devant le Juge de Paix de Salbris) fait une saignée sur la route de Pierrefitte à Thévot (route des Bouffards ou rue du Bois) pour amener les eaux à sa tuilerie du Bois, détournant ainsi le cours du ruisseau et privant d'eau les autres propriétaires. Après accord amiable, les riverains plaignants lui concédèrent le droit de prendre deux jours par semaine, du 1er Mars au 1er Novembre de chaque année, les eaux du cours d'eau. Il s'engagea alors à recevoir au cours de l'hiver toutes les eaux du ruisseau pour éviter l'inondation des propriétés voisines.

Il semble, d'après quelques témoignages, que l'empennage qui réglait le débit de l'eau fut l'objet de bien des discussions jusqu'à la fermeture de la tuilerie.

LA FABRICATION DES BRIQUES, DES TUILES, DES FAITIERES

L'ARGILE était travaillée dans une fosse carrée de 2 mètres de côté, placée au pignon d'un séchoir (voir croquis). Là, il fallait la pétrir, la ramollir. On l'arrosait pour la faire gonfler (comme la pâte à pain), on la "pieuchait" avec la pioche, on "la marchait" (pieds nus dans la fosse, l'ouvrier la piétinait).

On en faisait une pâte bien molle que l'on partageait en tas comme des mottes de beurre. Les enfants étaient alors chargés de disposer ces paquets d'argile sur une planche, à proximité du MOULEUR, qui emplissait son moule, tapotait pour éviter les bulles d'air et d'un coup de palette sec et précis, lissait le dessus. Enfin, tel un gâteau que l'on démoule, il faisait glisser la brique sur une palette. L'opération n'avait duré que 30 secondes. (Elles devaient être bien appétissantes ces briques sinon les enfants n'y auraient pas enfoncé leurs doigts en cachette quand, sur le chemin de l'école, ils réussissaient à se faufiler dans la loge séchoir).

La brique ainsi en équilibre sur sa palette, allait traverser la route une première fois, portée avec diligence sous le noyer. Quand elles commençaient à sécher, on leur faisait faire demi-tour. Un mois après, un peu plus, un peu moins, selon le temps, les briques étaient sèches, il fallait les emmener à la presse, le transport se faisait à la brouette cette fois et les briques traversaient une seconde fois la route pour se retrouver dans les loges de départ.

Une à une, les briques passaient dans la presse actionnée par un long balancier aux mouvements amplifiés par une lourde boule. Opération dangereuse pour le tuilier, puisque dans un moment d'inattention, il y a laissé 4 doigts. "Cela vous faisait une belle brique carrée sans bavure, bien sèche, mais pas suffisamment pour aller au four". Elles retraversaient la route une troisième fois pour se retrouver en tas sous forme de CROISILLONS dans le séchoir. C'est là qu'on les prenait pour les METTRE AU FOUR : une fournée de 1O.OOO briques entassées les unes sur les autres dans la grande bâtisse carrée.

La Tuilerie du Bois ne produisait pas que des briques ; mais aussi des TUILES. Le procédé ne différait pas de celui des briques si ce n'est le moule (plat) et le travail du "Patron" qui, avec un marteau de buis "faisait le bec de la tuile". Sur un chevalet, il relevait légèrement le bord de la tuile encore malléable.

Enfin les FAITIERES clôturaient la fournée. Sur un deuxième chevalet, le tuilier "donnait le cintre" à la pièce, toujours avec l'indispensable maillet de buis ; une pièce parfaitement arrondie destinée, comme son nom l'indique, au faîte des toits.

LE FEU - LA CUISSON

La cuisson de la fournée allait durer six jours :

- 3 jours de petit feu pour que la brique sèche, pour que "cela ne la surprenne pas d'un seul coup".
"On la préparait à cuire avec un petit feu"

- 3 jours de grand feu "à plein tube" sans interruption.

Trois hommes alimentaient sans arrêt le foyer de bourrées qu'ils transportaient par paquets de 7 à 8 dans une brouette. Quand les flammes sortaient par les trous d'aération, les briques étaient cuites. Généralement le 6ème jour. Dans le "mi-temps" de la soirée de ce sixième jour, les briquetiers bouchaient la porte du four à l'aide de briques et de sable (le sable jouant le rôle de mortier). Quand tout était parfaitement clos, on laissait refroidir trois semaines.

La fournée était alors prête à la vente. Le propriétaire des lieux s'en chargeait, le maître tuilier également. Pour 2 sous la brique (entre 1915-1920), les particuliers ou les maçons pouvaient emmener la marchandise. Cette brique pleine qui, à 90%, servira pendant un certain temps à la construction de Pierrefitte-sur-Sauldre et des maisons de commune entre autres.

Toutes les activités artisanales ont leur heure de gloire et puis, malheureusement, de déclin. Les progrès de la Société aidant, les techniques nouvelles ont chassé impitoyablement tous les métiers qui animaient les campagnes.

A la fin du 19ème siècle, début du 20ème, l'emploi des matériaux locaux diminue fortement. L'importation des pierres de taille pour les linteaux était courante. Au savoir-faire local va succéder une architecture nouvelle. Seules, resteront en activité pendant un certain temps, les tuileries produisant une excellente marchandise qui servira largement à l'ensemble de la Sologne.

En 1923, faute d'argile, faute de débouchés, faute d'ouvriers, la tuilerie du Bois fermait définitivement ses portes. Les locaux redeviendront ce qu'ils avaient été autrefois : une vacherie, des toits à porcs, une petite ferme comme la locature du BOIS de 1828...

 

 

1) Isaac CHEVALLIER (1810-1896), Maire de Lamotte-Beuvron de 1838 à 1853. Cet homme a publié un livre "DE L'AGRICULTURE EN SOLOGNE" en 1845, dans lequel, avec son ami P. Ch. JOUBERT, il attaquait les grands propriétaires terriens qu'il accusait de spéculer sur les bois et de vouloir faire disparaître l'agriculture, au profit de la plantation de forêt.

Classé comme quelqu'un d'extrême-gauche à l'époque, il s'est élevé cependant contre la venue des ouvriers pour le canal de la Sauldre, qu'il accusait de vouloir mettre le pays à feu et à sang. Il demanda alors un puissant renfort de gendarmerie au Gouvernement.

2) Monsieur DUCHATEAU se réservait les moules, presses, outils et ustensiles garnissant la tuilerie.

(3) Longtemps ces trous seront le terrain de jeux favori des écoliers des fermes voisines ; ils s'y arrêtaient souvent en rentrant de l’école ; en hiver, ils organisaient de mémorables glissades. C'est ainsi qu'en 1917, l'un d'entre eux s'y est blessé sérieusement.

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